A l’inverse de la tentation fréquente en situation de crise de centraliser toutes les décisions, des qualités d’ouverture, d’agilité, d’engagement collectif, de solidarité, de responsabilisation, d’innovation sont certainement le meilleur atout pour faire face aux exigences de transformation qui se préparent. Les impératifs environnementaux et sociaux s’ajoutant aux enjeux économiques pour dessiner les contours de l’entreprise résiliente et agile de demain.
Faire émerger ces qualités exige de revisiter en profondeur les modes d’organisation, de management et de gouvernance de l’entreprise pour aller vers la délocalisation des structures et des lieux de décisions, vers la simplification de la bureaucratie et des processus, vers des mangement plus "collaboratifs".
« Dans un monde de changements incessants et de défis sans précédent, nous avons besoin d’organisations résilientes et audacieuses » Gary Hamel.
Certaines entreprises comme Vinci l’ont compris depuis longtemps, d’autres (comme Auchan) s’y mettent et plusieurs autres sont dans les starting-blocks. Pour autant la route est longue et sinueuse et chaque collaborateur doit être préparé, pour éviter un découragement rapide, à des virages rapides et fréquents.
Pourquoi les entreprises qui ont pris cette voie rencontrent-elles autant d’obstacles ? Parce dans un monde complexe comme l’est celui des entreprises aujourd’hui, agir sur un seul facteur a des répercussions sur les autres facteurs, notamment sur les interactions humaines. Les prendre un par un n’a donc plus de sens. L’époque du mode de gouvernance « les hommes finiront bien par s’adapter à la réorganisation imposée par la direction » a montré ses limites et n’est plus acceptable aujourd’hui par les salariés.
Ignorer la complexité a toujours un coût à plus ou moins long terme.
Démarrer une réorganisation en profondeur sans disposer d’une cartographie détaillée des processus et des interactions entre les services et les personnes est aussi dangereux que d’attaquer une descente de slalom géant sans avoir repéré les passages et les obstacles. C’est le rôle du cadrage de la demande qui va permettre de repérer les composants fondamentaux du « système humain »de l’entreprise, d’anticiper les points de frictions et aussi de repérer ce qui fait sens pour les collaborateurs.
La multiplicité des facteurs à prendre en compte dans un projet de transformation en profondeur, avec toutes leurs interactions et rétroactions croisées et dynamiques, plaide pour une approche systémique des organisations qui prenne en compte le système interne (productif, organisationnel, financier, social, culturel) et le système externe (le marché, l’environnement professionnel, les normes et contraintes légales, les process clients et fournisseurs, et toutes les parties prenantes en connexion avec l’entreprise).
Une organisation est un système constitué de sous-systèmes imbriqués :
Seule une compréhension fine des différentes composantes (acteurs, objectifs, résultats, ressources, contraintes…) et des interactions entre elles permettra d’identifier les relations récurrentes entre ces composantes, avec leurs cohérences et leurs paradoxes, avec leurs dynamiques et leurs freins, et d’anticiper les futures forces et résistances à une transformation en profondeur.
Adapter une vision systémique, c’est déjà prendre conscience que tout est lié dans l’entreprise et que chaque décision aura un impact sur chaque acteur, même extérieur, et la nature de cet impact. C’est voir l’entreprise comme un système vivant - et non mécanique - qui s’inspire des règles du vivant en ne séparant pas les composants du système mais, à l’inverse, en les reliant, en les entremêlant, en les nourrissant.
« Bleu, un océan de solutions de Maud Fontenoy et Yann Arthus-Bertrand » illustre magnifiquement le fait que le monde de la mer (vivant) apporte de plus en plus de solutions à notre monde humain (mécanique).
Une fois identifiés, ces multiples facteurs ne vont pas se mettre à converger tout seuls, par le fait du hasard ou par injonction, pour donner de la cohérence à l’ensemble. La systémique nous fournit plusieurs réponses. Nous les présentons séparément mais en systémique elles sont étroitement liées :
En tête la recherche de sens, primordiale pour s’engager dans un projet ambitieux et libérer les énergies. Les entretiens préalables auront permis de mesurer le lien de cohérence avec l’objectif perçu par les acteurs et leur représentation du résultat attendu.
L’absence de sens, récurrent dans beaucoup d’entreprises, conduit à des insatisfactions, à des frustrations, au sentiment d’inutilité personnelle et sociale, à celui de perte de temps et d’énergie… tous causes de pertes de performance, surtout s’ils s’ajoutent aux tracas bureaucratiques et procéduraux quotidiens. Comment bâtir un futur attractif sur des fondations dégradées ?
Le sens est donné par mon sentiment de participer à une mission, une œuvre, un projet plus grands que moi et en cohérence avec mes attentes en matière de respect de l’environnement, de pratiques du travail, des droits de l’homme, d’éthique des affaires ou de pratiques d’achat. Il n'est pas donné par "le haut", il n'est pas exogène, il se trouve dans la façon de travailler de l'entreprise et peut également se construire autour d'une mission ou d'un projet.
C’est un des objectifs de la loi Pacte - Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises - d’inciter les entreprises à se transformer en entreprise à mission, et c’est l’objet de la certification B Corp - société reconnue pour avoir des effets bénéfiques sur le monde, tout en étant rentable – d’aider à se transformer en entreprise plus engagée, plus responsable et plus transparente. Entreprises à mission et certifiées B Corp atteignent aujourd’hui la centaine en France.
En lien direct avec le sens, les valeurs d’entreprise (corporate values), quand elles sont intégrées dans la culture d’entreprise, c’est-à-dire acceptées et respectées par tous (et pas seulement déclaratives ou en plastique), sont à la fois des repères pour l’action et une éthique d’entreprise (qui porte nos convictions et nos agissements). Je suis toujours étonné de voir la fierté des salariés quand on parle avec eux de leurs valeurs professionnelles (souvent illustrées par la qualité et la maîtrise de leur art).
Vient ensuite la confiance une condition de départ de toute transformation pérenne : confiance dans ses dirigeants, dans ses managers, dans ses collègues. Ce qui semble une évidence pour bien conduire une organisation n’est en fait que rarement présent dans les entreprises. Si la confiance envers les dirigeants est souvent là, la confiance dans les autres services ou les autres salariés est beaucoup plus rare. La dominante est plutôt de souligner les carences des autres services que de penser que chacun fait de son mieux en contribuant efficacement à la performance finale. Une énergie énorme se perd dans les conflits et les manques de coopération entre services.
Rétablir la confiance ne peut être que progressif et en lien avec les autres facteurs. Le principal étant généralement le niveau de participation aux changements auxquels le salarié sera convié. Si j’ai activement participé à la réorganisation de mon service, je vais avoir davantage confiance dans sa légitimité et sa pérennité.
L’intelligence collective injectée dans la conduite d’une réorganisation est généralement le déclencheur de la participation active des acteurs qui se sentiront de plus en plus concernés et au final engagés dans la réussite de la transformation. La sociodynamique (Jean-Christian Fauvet) nous fournit beaucoup d’éléments de compréhension des dynamiques de groupe et les outils de l’intelligence collective se déploient un peu partout en entreprise (Méthodes Agiles, CNV, Lean management, Spirale Dynamique, Théorie U, Design Thinking …).
La mise en intelligence collective accroît le niveau de responsabilisation des salariés. Quand je cocrée mon environnement de travail, je me sens impliqué et responsabilisé dans sa mise en œuvre et son bon fonctionnement.
L’émergence d’initiatives et d’innovations terrain, soutenue par un manager de type « leader facilitateur » en capacité d’encourager les « pionniers » (la stratégie des alliés de J.C. Fauvet), et chaque organisation en recèle, à s’investir dans des initiatives porteuses de sens et de dynamique pour le collectif. Cette émergence n’opère que si confiance, soutien et droit à l’erreur, ont remplacé contrôle et reporting dans les modes de management de l’entreprise. Ce qui demande des changements de paradigmes managériaux qui peuvent être perturbants pour l’encadrement : principe de subsidiarité (remettre le niveau décisionnel au plus près du terrain), culture de l’écoute et du feed-back, modes décisionnels plus sociocratiques etc.
D’autres facteurs interviennent dans la mise en œuvre d’une approche systémique des organisations, que nous aborderons dans un prochain article : les modes de gouvernance et de management, l’entraide et la solidarité, le travail de reliance, l’autonomie, le lâcher-prise etc.
Peter Senge avec la 5e discipline décrit les éléments d’un collectif qui progresse vers une « organisation apprenante » capable de s’adapter toujours plus efficacement et plus vite aux changements :
Cependant, avoir une vision systémique ne fournit pas le mode d’emploi pour démarrer une transformation ou une mutation, qu’elle soit organisationnelle ou managériale. Une approche à la fois bottom-up et top-down bien dosée fournit un début de réponse. Impulser la vision d’en haut tout en faisant confiance au terrain pour s’en emparer et co-construire les éléments du puzzle qui conduiront au résultat attendu, est un facteur majeur dans la réussite. On voit que mettre en place des approches nouvelles de cette nature passe par une transformation des modes de management, sur laquelle nous reviendront.
Les entreprises à mission et celles du B Corp nous montrent la voie et les priorités qui prévalent chez les jeunes générations autour de l’écologie, du développement durable, de l’éco-responsabilité. Le modèle People, Planet & Profit connaît une audience croissante de la part de l'Europe et des entreprises. Et les mouvements comme l’entreprise altruiste, l’entreprise humaniste, l’entreprise opale… qui replacent l’entreprise dans son environnement sociétal en intégrant davantage les parties prenantes.