La régénération*, une alternative à la dégénérescence programmée

Les perspectives sont troubles concernant le futur de beaucoup d’entreprises traditionnelles, les secteurs de l’habillement et de la grande distribution en sont les victimes récentes. 

Quelles en sont les causes ? 

Incontestablement elles sont multiples, et chaque situation est singulière et peut découler de causes externes mais aussi internes, comme des mauvaises décisions, une gestion défaillante ou un défaut d’anticipation. Nous nous limiterons aux causes externes, en voici les principales :

  • Les évolutions dans les modes de consommation. Le consumérisme est derrière nous et la tendance va s’accélérer avec la prise de conscience croissante de la nécessité de réduire l’empreinte de l’homme sur la planète Terre si nous voulons lui assurer un futur acceptable. Miser sur une ralentissement ou un arrêt de ces évolutions est un non-sens.
  • La compétition pour attirer des candidats est de plus en plus rude : le rapport de force employeur-candidat s’est inversé, même dans des secteurs considérés comme attractifs. Les nouvelles générations se désintéressent de plus en plus des emplois vides de sens, des plans de carrière, des postes de responsabilités et même des salaires chatoyants. Les métiers à forte contraintes (horaires, pénibilité, éloignement, manque d’autonomie…) sont les plus touchés, jusqu’à devoir réduire ou même cesser leur activité.
  • L’accélération des temporalités qui mettent les systèmes en tension : raccourcissement des chaînes d’approvisionnement, nécessité de livrer en délais très courts pour faire face aux achats sur plate-forme, adaptations de l’appareil productif de plus en plus rapides et coûteuses, contraintes réglementaires de plus en plus fortes dans les domaines de l’énergie, de la RSE (directives CSRD), des normes de qualité, de l’étiquetage, du fléchage des ressources financières, etc.
  • Les évolutions de l’environnement de travail s’accélèrent et beaucoup d’entreprises n’y étaient pas préparées, mettant leur business model en péril : le surenchérissement du prix de l’énergie, le choix de fournisseurs et clients locaux, les contraintes de la transition écologique (gestion des déchets, invendus, gestion des ressources, renouvellement technologique, achats responsables, éco-comptabilité…), l’attente des salariés pour donner du sens à leur travail, la perte d’attractivité de certains métiers (banque, bâtiment, restauration, industrie, transport routier ….), l’irruption de l’I.A. dans les entreprises…

Répondre aux contraintes légales (CSRD tout particulièrement) et réduire ses externalités négatives ne suffira pas à éclaircir l’horizon des entreprises, aussi le meilleur choix rationnel qui s’offre à elles est de s’engager dans une stratégie de « régénération » ambitieuse qui permette de se projeter résolument et collectivement dans l’avenir avec la capacité et la volonté de remettre en question toutes les habitudes et les schémas mentaux obsolètes.

La régénération : une approche exigeante

La transformation du modèle mental de l’équipe de direction et du collège managérial constitue un préalable à la mise en œuvre de nouvelles formes d’engagement collectives au sein de l’entreprise. Espérer des changements profonds de comportement de la part du personnel en faisant l’économie des mêmes changements du côté de la direction est au mieux une utopie, plus souvent un aveuglement coupable. Au programme de ce « recyclage mental » des résistances acquises de longue date dans les cours de management ou les pratiques regardées comme des dogmes alors qu’elles s’avèrent aujourd’hui contre-productives. 

Et aussi le fameux « facteur humain », le PFH des québécois (Putain de Facteur Humain qui fait qu’on ne passe pas de ce que l’on sait devoir faire à ce que cela implique). Les mécanismes psychologiques collectifs sont très bien analysés dans l’Immunothérapie du changement de Robert Keghan.

Voici un exemple de schéma de régénération relevé dans un ouvrage :

La régénération est une approche systémique …

…dans le sens qu’elle questionne tous les processus, tous les secteurs et tous les collaborateurs de l’entreprise. C’est une remise en question globale et profonde qui part de la raison d’être de l’entreprise jusqu’aux nouvelles formes de travail et de collaboration, en intégrant tous les aspects RSE, ESG et technologiques. Une telle « régénération » fait peur, inquiète le personnel et la direction – pour des raisons différentes d’ailleurs – et conduit généralement à retarder les transformations pourtant nécessaires ou à aborder les changements jugés indispensables sous un angle étroit avec des mesures partielles ou sectorielles et peu reliées entre elles. 

L’entreprise a souvent un temps de retard au lieu d’avoir un coup d’avance, sauf dans les domaines technologiques (essentiellement du fait des start-up). C’est tout l’enjeu de la régénération de permettre à l’entreprise de réaliser un saut dans le futur qui lui assure la résilience et la pérennité dont elle a besoin. 

L’essentiel de la régénération tient au Facteur Humain 

Il peut se résumer en 3 critères :

  • La capacité de l’entreprise à permettre à ses collaborateurs de déployer tout leur potentiel, toute leur énergie, toute leur créativité en réduisant au maximum les contraintes, en libérant l’initiative et en développant l’autonomie
  • La capacité de l’entreprise à détecter les talents et à les retenir
  • La capacité de l’entreprise à optimiser ses performances grâce à « l’intelligence collective », le travail en mode collaboratif et la conversion en « organisation apprenante » 

Revenons sur les freins humains qui empêchent cette remise en cause globale. Nous n’aborderons pas ici les freins financiers, technologiques, ou politiques (notamment liés au rôle de l’actionnaire) mais :

  • Les freins liés à la gouvernance : frilosité de l’équipe dirigeante à admettre la nécessité d’une remise en cause profonde, crainte liée à l’ampleur de la tâche ou à la méconnaissance de la façon de l’aborder, peur des résistances du personnel et en particulier des IRP
  • Les freins exprimés par les managers sur la perte de pouvoir perçue liée à la montée en autonomie de leurs collaborateurs ou, plus insidieux, sur le décalage entre leur acceptation de façade et leur résistance psychologique – souvent inconsciente – à faire passer les nouveaux comportements dans les actes
  • Les freins ressentis par le personnel à l’annonce des transformations à venir et des impacts sur leur travail et leur organisation, transformations décidées en amont par la direction et qu’ils subissent sans y avoir été associés.

Approches, démarches, outils

Nous vous proposons quelques pistes conceptuelles pour dissiper le flou et défricher le terrain de ce qui peut constituer une approche régénérative. Il existe autant de façon d’aborder la régénération qu’il y a d’organisations, car chacune constitue un cas particulier. Donc pas de méthode globale, pas d’approche unique, pas de conseils généraux. Ce sont l’historique de l’entreprise, son environnement et sa gouvernance qui constituent le contexte de départ et permettent de répondre aux enjeux futurs de façon personnalisée.

  1. La première piste est constituée par les apports de la sociodynamique (approche de la complexité dont le père est Edgard Morin) initiée par Jean-Christian Fauvet dans les années 70 (auteur d’une douzaine d’ouvrages) et portée par le cabinet Bossard Consultants, depuis intégré dans Capgemini. La sociodynamique distingue 4 typologies d’organisation (dont l’entreprise holomorphe) traversées par 5 modes (énergie, organisation, culture, leadership et cohésion), elle constitue un corpus d’actions structuré et cohérent, avec notamment "la stratégie des acteurs". Ses clients historiques qu’étaient St Gobain, Danone ou la Maïf ont largement contribué à sa diffusion, portée aujourd’hui par l’Institut de la Sociodynamique et le cabinet Kea & Partners. Le campus de l’Innovation Managériale se tiendra le 25 novembre 2023 à Sciences Po Paris
  2. La seconde piste est représentée de façon large par les outils de l’intelligence collective qui permettent à une organisation d’initier et de favoriser la collaboration et le dialogue à tous les niveaux. Mentionnons entre autres :
    • La Théorie U (d’Otto Sharmer) pour projeter un groupe dans un futur construit
    • Le Forum Ouvert et le World Café pour lancer une démarche participative
    • Le co-développement pour favoriser le partage d’expérience entre pairs et le mettre au service de la résolution de leurs problèmes
    • Le Design Thinking pour prototyper en atelier un produit ou un projet
  3. La 3e piste regroupe les outils de développement personnel permettant de changer les représentations afin de pouvoir accéder à des possibles cachés ou non envisagés :
  • Outils classiques tels que la Pyramide de Dilts, la CNV, l’AT, la théorie de Mc Gregor…
  • Outils expérientiels tels que les fresques – fresque du Facteur Humain, fresque des Emotions, Fresque des Imaginaires… – ou les jeux pédagogiques – jeux de plateaux, jeux de cartes.

A une approche centrée sur un outil (fût-il le meilleur) préférez une approche systémique qui observe l’ensemble des processus et relations de l’entreprise et en déduise l’approche et les outils les plus appropriés au contexte et à l’objectif.

Mener une approche de régénération exige une expérience large faite de l’analyse de centaines d’organisations et de leurs expériences de changement, et de l’accompagnement de nombreuses transformations dans des secteurs diversifiés. L’éclairage d’experts est un atout majeur pour élargir la vision inévitablement limitée de l’entreprise.

Quelles sont les grandes étapes qui jalonnent une régénération :

  1. Un dialogue ouvert et sans complaisance entre tous les membres de l’équipe de direction et le/les « accompagnateurs » externes pour mettre sur la table toutes les données et aboutir à une vision partagée et un engagement sincère de chaque membre sur les enjeux et les objectifs de la future démarche, qui n’est pas une feuille de route à ce stade.
  2. Un parcours de transformation des postures managériales engageant, dont le principal enjeu est le lâcher prise sur un certain nombre de croyances et de postures, essentiellement liées au « pouvoir ». Le défi – et il est ambitieux - est de passer progressivement du « pouvoir SUR » au « pouvoir DE » (approche « servant leader » de R. Greenleaf). 
  3. L’élaboration d’un plan de marche pour le lancement de la démarche, chaque détail étant minutieusement préparé pour ne rien laisser au hasard dans cette phase de démarrage toujours à haut risque.
  4. L’étape suivante, une des plus difficiles, est « d’embarquer » le management dans les nouvelles postures que la régénération requiert mais dans lesquelles ils percevront instinctivement une perte de leurs pouvoirs. Cette phase exige du temps et surtout un dosage précis entre les messages (échanges, formation, ateliers…) et les nouvelles règles qui acterons les évolutions de leur rôle afin de permette aux collaborateurs de grandir en autonomie.
  5. Viendra ensuite l’annonce au personnel et les premières expérimentations – décisives – autour de la responsabilisation des acteurs, dont le but principal est de développer la confiance réciproque entre la direction, les managers et le personnel (dans le sens de "ils font ce qu’ils disent"). 
  6. A partir des expériences réussies, l’autonomie des collaborateurs sera encouragée, soutenue et protégée avec la mise à disposition des outils d’accompagnement nécessaires (outils de l’intelligence collective en particulier). A ce stade, les procédures et les modes d’intéressement doivent suivre pour devenir un moteur et non plus un frein.
  7. Le dernier stade, qui est toujours en progression, consiste à devenir une « organisation apprenante » capable d’intégrer les crises, les évolutions externes, les transformations structurelles indispensables par une intégration dans les gènes de l’entreprise de modes de communication, de décision, de travail, de management… fluides et performants.

En conclusion, la régénération est une aventure ambitieuse et exigeante qui a pour objectif essentiel de rendre les organisations plus résilientes et performantes et assurer ainsi leur pérennité.

*Terme issu de l’Agriculture Régénérative qui régénère la matière organique et la biologie des sols essentielle à la vie sur terre (solutions naturelles améliorant la vie sous et au-dessus du sol et notre santé).

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